FLORENCE ANDOKA

LES OPERATIONS GERMINATIVES

Entre deuxième et troisième dimension, entre traits et fils, orange ou bleu, dans le travail de Pascale Lhomme-Rolot s’opère un passage régulier de la ligne, au volume. Le leporello est la figure récurrente de ce basculement. Bien sûr, c’est la forme par excellence du livre d’artiste, du livre unique, du livre pauvre et de bon nombre d’expérimentations éditoriales écartées des sentiers du marché de la grande diffusion. Mais c’est aussi un livre qui se déploie dans un espace et dont l’espace intérieur n’est plus une série de plans successifs, mais bien un déroulé où, début et fin, envers et endroit sont perceptibles de concert. Le livre se dresse, il est cet accordéon de papier que l’œil embrasse presque d’un seul mouvement. Il est cette petite sculpture qui en appelle d’autres ; des volumes blanchis de fils et de céramiques jusqu’aux aux bouchons de carafe presque anthropomorphes.

Le livre est une cellule, un motif, une forme germinative qui inspire l’installation, un passage à une échelle plus grande, où le plan horizontal de la table permet de coloniser l’espace, et laisser les livres s’étendre à presque disparaître entre les tubes de laboratoires,
les entonnoirs retournés, la fourrure ou la possibilité de la photographie comme un stricte retour à la représentation.

Le travail de Pascale Lhomme-Rolot est marqué tant par un goût pour la couleur, la géométrie, et la dérision que par son ouverture aux techniques, arts et matériaux populaires et traditionnels. Comportant peu d’éléments figuratifs et quasiment aucune image de corps, l’œuvre est essentiellement abstraite, oscillant entre papiers d’écoliers, éléments de décoration, ouvrages scientifiques. L’artiste récupère, découpe, troue, déchire, colle, assemble, photocopie, perfore, compose, griffonne, caviarde, dessine ou peint souvent par-dessus ou
en dessous et aime à laisser trace de son écriture manuscrite. C’est sérieux sans en avoir l’air, il y a de l’humour et de la gravité,
jamais d’impasse, quelque chose, peut-être, de strident dissimulé sous les gommettes.

Il y a également ce jeu évident entre support et surface, qui voudrait que le livre s’il comporte du texte ne soit qu’un seuil vers une
autre dimension. Mais ici, le livre est un objet, une image volume. Il n’est plus seuil mais paysage auquel s’accrochent encore, éparses
et hétéroclites, des mots : gravitation, double physique, vague, comment, remonte, laisse, parent, relativité, à l’œil, sexe, dense
par absorption. Ce sont les jalons d’une narration fantôme, celle que l’on s’invente, celle du contexte d’où les mots ont été prélevés.

Que cette narration ait été scientifique ou littéraire, réduite jusqu’au fragment, elle en devient poétique. L’irruption du langage
dans la composition implique la possibilité d’un son, puisque chaque mot qui heurte l’œil est aussitôt prononcé dans le for intérieur.
Dans cette temporalité singulière de la lecture, il y a la possibilité d’une incarnation, d’une voix qui s’élève, celle de l’artiste, celle
du regardeur, mais aussi celle d’autres poètes avec lesquels Pascale Lhomme-Rolot aime à faire route, laissant régulièrement
son univers se lier à d’autres.